La pêche aux crevettes à cheval est instinctivement associée à la station balnéaire d’Oostduinkerke située sur la côte belge occidentale, la seule commune côtière dans le monde à entretenir avec attachement et conviction cette tradition encore profondément enracinée dans sa vie quotidienne.
Cette technique de pêche est l'héritière d'une tradition séculaire : les premières mentions écrites remontent à 1563 à l'abbaye des Dunes. On a d'abord utilisé des ânes, puis des mules et aujourd'hui de robustes chevaux de trait. On pêchait à cheval tout le long de la côte belge, mais aussi dans le nord de la France, en Hollande et dans le sud de l'Angleterre, mais aujourd'hui, le seul endroit où se pratique la pêche équestre est Oostduinkerke qui bénéficie d'une plage sans obstacle ni brise-lame.
Cette activité qui, par le passé, servait de gagne-pain à de nombreuses familles de pêcheurs est maintenant devenue une attraction pour les visiteurs. Elle constitue en outre un attrait pour des peintres, des écrivains, des poètes, et des photographes qui s’inspirent volontiers du spectacle pittoresque de ce rituel en mer avec ces hommes en ciré jaune sur leurs puissants et nobles chevaux de trait, ayant les flots pour horizon.
Même si cette pêche n’est plus à notre époque, économiquement rentable, cet artisanat traditionnel est perpétué par une dizaine de familles, chacune ayant sa spécialité, comme le tissage des filets ou la connaissance et l’entretien des chevaux de trait brabançons. Ce patrimoine culturel revêt une grande importance pour leur identité et les pêcheurs attachent beaucoup de valeur à l'existence de cette tradition, car c’est surtout un bel exemple d'interaction dynamique et durable avec la nature et la culture qui se transmet de génération en génération.
La pêche aux crevettes à cheval suppose en effet une bonne connaissance de la mer et de la côte, ainsi qu'un degré élevé de confiance et de respect envers la plus belle conquête de l’homme.
Deux fois par semaine, sauf en hiver, les pêcheurs labourent les flots, accompagnés de leur cheval et de leur filet. La pêche dure trois heures, une heure et demi avant et une heure et demi après la marée basse.
Le cheval entre dans l'eau jusqu'au poitrail et avance parallèlement à la côte, en tirant un filet en forme d'entonnoir que deux planches en bois maintiennent ouvert. Une chaîne racle le sable pour créer des vibrations qui font que les crevettes bondissent et entrent dans le filet.
Ce filet (7 x 10 mètres) exige une force de traction énorme que seuls des chevaux de trait brabançons peuvent fournir. Toutes les demi-heures, la pêche est interrompue pour retourner sur la plage, où le filet est vidé et la prise passée au crible. Les pêcheurs versent les crevettes dans les paniers fixés sur les flancs du cheval. Plus tard, les crevettes sont cuites à l'eau douce.
La pêche se pratique sur la plage et la zone de ressac d'Oostduinkerke en eaux peu profondes et n'est possible qu'à marée basse, par mer calme, sur des côtes suffisamment plates. C'est d'ailleurs le biotope où l'on rencontre la crevette grise, Crangon crangon, en grand nombre. De plus, Oostduinkerke dispose d'une plage idéale sans jetées ou autres obstacles pouvant s'avérer dangereux pour le cheval ou le pêcheur.
Le cheval entre dans l'eau jusqu'au poitrail en tirant un filet (7 x 10 mètres) en forme d'entonnoir que deux planches en bois maintiennent ouvert. Une chaîne racle le sable pour créer des vibrations qui font que les crevettes bondissent et entrent dans le filet.
La pêche à cheval inscrite au patrimoine culturel de l'UNESCO
Lors de la huitième édition du comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, qui s'est déroulé du 2 au 7 décembre 2013 à Baku (Azerbaïdjan), la pêche de crevettes à cheval à Oostduinkerke a officiellement été ajoutée à la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité *.
L’Ordre des pêcheurs de crevettes à cheval a reçu officiellement mardi 18 mars 2014 le certificat attestant de l’entrée de cette activité sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (PCI) de l’Unesco. C’est la ministre flamande de la culture, Joke Schauvliege, qui a transmis ce précieux document à l’Ordre, en mars dernier.
Pour célébrer cette reconnaissance, la Monnaie royale de Belgique émettra à l'initiative de l'Ordre des pêcheurs de crevettes à cheval une série officielle d'euros cette année ayant pour thème le pêcheur à cheval.
Cette série contiendra, outre les huit premières pièces à l'effigie du roi Philippe, une pièce d'or représentant un pêcheur à cheval, oeuvre de l'artiste Dieusaert. Cinq de ces pièces sont mises en circulation comme moyen de paiement, ce qui rend cette série très spéciale pour les collectionneurs.
La Monnaie royale de Belgique émettra également une pièce en argent à l'effigie du pêcheur de crevettes.
* Le patrimoine culturel immatériel désigne les us et coutumes, les pratiques et les connaissances qu'une communauté a hérités ou qui font partie d'un continuum historique et que la communauté ou le groupe considère de commun accord comme suffisamment important pour le transmettre aux générations futures. Ce patrimoine est vaste et englobe des cortèges et processions, des défilés de géants, la fabrication de la dentelle aux fuseaux... L'importance du patrimoine culturel immatériel ne réside pas tant dans la manifestation culturelle elle-même que dans l'ensemble du système : la méthode de transmission et le procédé. On y répertorie cinq domaines : les traditions orales, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les arts du spectacle, les connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers, les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l'artisanat traditionnel. La pêche aux crevettes fait partie tant de la quatrième que de la cinquième catégorie.
Deux statues en bronze à la gloire des pêcheurs de crevettes ont été érigées sur la plage
Le cheval, leur fidèle compagnon
Ce mode de pêche est une pratique artisanale en étroit lien avec la nature qui implique notamment une bonne connaissance de la mer. Confiance, connaissance et respect du cheval sont au moins aussi importants. Le cheval est le plus fidèle compagnon du pêcheur de crevettes. Le lien entre eux est vital : le pêcheur fait confiance en sa force, qui à son tour fait confiance au pêcheur qui le mène dans les eaux troubles de la mer.
Chez eux, les chevaux disposent d'un pré avec de l'eau fraîche et des aliments adaptés. Tous les pêcheurs de crevettes disposent également d'une écurie où les chevaux trouvent refuge par temps froid. L'écurie est un espace complètement fermé, généralement annexé à l'habitation du pêcheur.
La présence d'un abri dans les prés est obligatoire depuis 2013.
Les chevaux de trait sont des animaux à sang froid capables de résister à des températures froides. À cause de leur taille, ils perdent beaucoup moins de chaleur par kilo que l'homme. Comme leurs jambes contiennent moins de muscles que celles de l'homme, elles ont moins besoin de sang ; les cellules des jambes, du fait de ce métabolisme peu actif, ont dès lors moins de mal à supporter le froid.
Les naseaux sont spécialement conçus pour réchauffer l'air. Ils perdent moins de chaleur via les poumons. Les poumons étant situés sur la partie supérieure du dos, ce qui explique que les chevaux de trait peuvent facilement pénétrer dans l'eau jusqu'au poitrail sans ressentir le froid.
Au printemps, les crevettes se rapprochent de la ligne intercotidale et les chevaux ne doivent plus s'enfoncer aussi profondément (1 m). En automne, l'eau de mer s'est réchauffée au soleil estival et les crevettes cherchent des sols plus profonds et donc plus froids. Les pêcheurs de crevettes s'enfoncent plus loin dans la mer.
NAVIGO, musée national de la pêche
Niché dans un joli coin de verdure au centre du village, le Musée NAVIGO - musée national de la Pêche- invite à découvrir l'histoire de la pêche en mer et de la pêche côtière en Flandre dans le passé mais également de nos jours. Bien entendu la pêche sur la plage et la vie des pêcheurs de crevettes à cheval, une tradition vivante unique à Oostduinkerke, ont acquis une place dans la collection particulièrement riche de ce musée résolument moderne, présentée dans des décors esthétiques et sous forme interactive. Petits et grands peuvent participer à diverses activités ce qui contribue grandement à rendre la visite encore plus captivante.
Vous pouvez vivre une tempête en mer comme si vous étiez, et aussi découvrir la vie du travail des marins-pêcheurs d’autrefois au milieu de décors plus vrais que nature : la maison du pêcheur, la plage, la chapelle, le chantier naval, la criée d’Ostende … et même un fumoir à harengs. Le bateau de pêche côtière OD.1 Martha et les aquariums impressionnants de la Mer du Nord vient compléter l’ensemble particulièrement haut en couleurs. La collection du Musée de la Pêche réunit le patrimoine, l’art, l’artisanat et la richesse de la nature de la mer du Nord. En organisant chaque année des expositions qui jettent un regard neuf sur les différents aspects de la pêche, le musée s’intéresse ainsi au présent et à l’avenir de la pêche en mer du Nord.
Pour terminer la visite sous le signe de la détente, l'estaminet in de Peerdevisscher (le pêcheur à cheval) qui jouxte le musée propose dans son cadre convivial et hors du temps des dégustations de produits locaux. Pour ouvrir l'appétit, en guise d’apéritif je vous conseille de déguster - avec modération – une bonne bière trappiste ou si vous préférez, un petit vin blanc accompagné d’une portion de harengs au vinaigre ou une part de crevettes grises - non décortiquées bien sur- elles sont de belle taille et de première fraîcheur ! Pour suivre, ce repas simple et convivial, des solettes servies avec une copieuse portion de vraies frites, de la salade, et un dessert maison... What else ? comme le dit si bien l’ami George.
L’intérieur d’une maison de pêcheur, autrefois … un décor plus vrai que nature
Paardenvissers op het strand , de Edgard Farasyn , peintre anversois ( 1858-1938)
l' estaminet in de Peerdevisscher (le pêcheur à cheval) qui jouxte le musée
… des crevettes de belle taille et de toute première fraicheur
Vagues d’argent et beau ciel clair
Le flot sur les grèves se vide.
Les cinq pêcheurs équestres de Coxyde
Pèchent nonchalamment, sur le bord de la mer.
Dans les lueurs et dans les moires
Des vagues pâles, passent, Allant, venant,
Leurs silhouettes noires
Les chevaux vieux, les chevaux las,
Parfois lèvent la tête et regardent là-bas,
L’espace …
Les mailles traînent
Lentes et pesantes ; dans le remous,
Les bêtes vont, les rênes
Tombantes sur le cou,
Et monotones ;
Le corps houleux, au rythme de leur dos,
Leur cavalier les yeux mi-clos,
Siffle ou chantonne.
Une heure passe, une heure ou deux,
On est heureux ou malchanceux,
Le poisson vient ou bien se cache,
On travaille par les temps chauds, par les temps froids,
Toujours, et néanmoins, on retourne chez soi,
Oh ! que de fois !
Les paniers creux, sonnants et lâches.
Ainsi peinent les pêcheurs vieux,
Contents de rien, contents de peu,
Usant dans le malheur ou dans la chance,
Dans la contrainte et dans l’effort,
Les sabots de l’existence
Qui se brisent un jour et réveillent la mort,
Pourtant, tels soirs d’été, quand, aux heures de lune
Sur leurs chevaux pesants, ils remontent les dunes
Et apparaissent, au loin sur les crêtes à contre-ciel
Chargés de filets et de toiles,
On croirait voir de grands insectes irréels
Qui reviennent de l’infini
Après besogne faite et butin pris,
Dans les étoiles.
Emile Verhaeren
(Poète belge d’expression française, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916)