Le musée La Piscine de Roubaix fête actuellement les 150 ans de la naissance de la talentueuse sculptrice Camille Claudel avec une prestigieuse exposition-événement : Camille Claudel (1864-1943) : au miroir d’un art nouveau, rassemblant plus de 150 oeuvres provenant de collections publiques et privées, françaises et internationales, parmi lesquelles des ensembles exceptionnels prêtés par le musée Rodin, ceux d’Orsay, de Sainte-Croix de Poitiers, ainsi que du futur musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine qui ouvrira ses portes au printemps 2015, ainsi que des pièces importantes conservées par la famille de l’artiste.
La petite châtelaine
C’est à la fois une rétrospective et une mise en perspective de la sculptrice dans son temps. L’exposition est organisée en onze sections, avec à la fois un enchaînement chronologique et thématique. Le tout présenté dans une scénographie superbement épurée. Si cette exposition ne se veut pas exhaustive, elle a néanmoins le grand mérite de raconter l’histoire et l’évolution des sources d’inspiration de l’artiste surdouée au travers de ses créations.
Des sculptures d’Auguste Rodin sont également présentées, ce qui permet au visiteur d’apprécier la période fusionnelle de Camille Claudel avec le maître à l’époque où leurs oeuvres pouvaient se confondre.Commen L’occasion ne se représentera sûrement pas – tout au moins avant l’ouverture du futur musée de Nogent-sur-Seine – de pouvoir admirer le travail de Camille Claudel dans un lieu unique, d’où la nécessité de visiter sans retenue cette extraordinaire exposition qui réunit ses créations les plus emblématiques.
Vertumne et Pomone, 1886 - 1905
Marbre blanc
Sakountala (1886-1905) (détail)
Plâtre original 1888
Buste de Ferdinand de Massary
Persée et la Gorgone (1897-1902)
marbre blanc veiné gris (détail)
En parcourant l’exposition, vous serez attirés très certainement par ce couple de danseurs – La Valse - éperdument enlacés, à la limite d’un déséquilibre qui vous entraînera dans un tourbillon d’émotion sans fin. Dans une première version, les modèles étaient nus. Pour contourner la censure, Camille les a drapés.
Vous vous attarderez ensuite devant L’Age mûr. Est-il ouvrage plus emblématique – s’il n’est pas le plus autobiographe – de Camille Claudel, représentée ici en implorante, conjurant Rodin de rester avec elle alors que ce dernier est emmené par son amante de toujours, Rose Beuret qu’il épousa en 1917 ? Cette sculpture offre aussi une représentation du destin de l’homme vieillissant, arraché à l’amour, la jeunesse et la vie. L’Age mûr symbolise néanmoins la rupture de Camille et de Rodin. Cette sculpture est considérée par les connaisseurs comme son chef-d’oeuvre.
Ecoutons Paul Claudel l’évoquer : « Cette jeune fille à genoux… Cette jeune fille nue, c’est ma soeur ! Ma soeur Camille, implorante, humiliée, à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, c’est ainsi qu’elle s’est représentée ! ».
Puis vous serez séduits, sinon étonnés par Les Causeuses et aussi par La Vague représentant trois femmes qui dansent une ronde sous une vague qui menace de les submerger, inspirée de La Vague au large de Kanagawa, une estampe de l’artiste japonais Hokusaï.
Ces deux oeuvres taillées avec précision dans le marbre onyx témoignent de l’influence sur l’artiste des arts décoratifs et du japonisme alors en vogue en Europe. La scène des Causeuses s’inspire, elle, d’une conversation entre quatre femmes surprise par Camille dans un train. L’artiste reproduit la scène en représentant ses personnages nus et sans âge.
Ces brefs moments de la vie captés, ces « petites choses nouvelles », comme elle l’écrit à son frère Paul, témoigne de sa libération de l’influence de Rodin.
Clotho, 1893 - 1897
Plâtre
Les Causeuses ou Les Bavardes ou La Confidence,
1897
Marbre-Onyx, bronze.
La Vague ou Les Baigneuses, 1897 - 1903
Onyx et bronze sur socle en marbre,
"L'âge mûr" ou La Destinée ou Le Chemin de la vie ou La Fatalité, (1894-1905)
Bronze,
Si vous préférez les oeuvres monumentales, vous serez comblés en admirant Persée et la Gorgone. Avec cette oeuvre imposante en marbre blanc, Camille Claudel revient au classicisme de ses premières créations. Elle est inspirée d’une scène mythologique qui représente Persée venant de décapiter la Méduse, l’une des trois Gorgones. Persée regarde dans son bouclier de bronze, qui lui sert de miroir, le reflet de la tête de Méduse afin d'éviter d’être pétrifiée par son regard maléfique (dans son état actuel, le bouclier a disparu). Vous découvrirez aussi que Camille Claudel maîtrisait parfaitement l’art du portrait avec La vieille Hélène, une sculpture en terre cuite, l’une de ses premières réalisations où elle puisa son inspiration dans son entourage : La vieille Hélène était une servante de la famille ! Cette grande maîtrise de l’art du portrait, où elle déploie une grande force d’expression avec ce goût des traits accentués, s’affirme plus tard avec Giganti, ce buste d’un naturalisme expressif et si vivant qu’il semble nous toiser. Le Buste de Rodin, ainsi que le Portrait de Ferdinand de Massary ne laisse personne indifférent.
GIGANTI (1885)
" La Valse "
La valse : dans cette première version, les modèles étaient nus. Pour contourner la censure, Camille les a drapés.
Les trois faunesses d’Auguste Rodin
Bien entendu, la pièce maîtresse, la tête d’affiche : La Petite Châtelaine, n’a pas été oublié. Ce visage devenu familier des habitués de La Piscine depuis son acquisition par le musée de Roubaix en 1996 grâce à une souscription publique – la première organisée par un musée pour une sculpture – est un buste en marbre blanc qui représente la tête et les épaules d’une petite fille de six ans, Madeleine Boyer, petite-fille de Madame Courcelles, la propriétaire du château de l'Islette, en Touraine, que Camille Claudel rencontra lors d'un séjour en compagnie de Rodin. L’artiste est tombée sous le charme de son jeune modèle qui aurait posé plus de 62 heures… pour le grand bonheur des amateurs de l’art sculptural et des nombreux visiteurs de La Piscine !
Musée La Piscine – musée d'art et d'industrie André-Diligent Exposition Camille Claudel (1864-1943)
Au miroir de l’art nouveau. Jusqu’au 8 février 2015. Tarifs : 7 et 10 euros. Ouvert du mardi au jeudi de 11 h à 18 h ; le vendredi de 11 h à 20 h ; le samedi et dimanche de 13 h à 18 h.
Contact : 03 20 69 23 60.
Un personnage romanesque
Buste de Camille Claudel
Camille Claudel est perçue comme l’héroïne dramatique d’une histoire emblématique de la condition féminine au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Elle est surtout une artiste incontournable qui apporte à l’histoire de la sculpture moderne un regard d’une grande singularité, ouvrant des ponts entre le naturalisme et le symbolisme, le néo-florentinisme et l’art nouveau. Les premières oeuvres de cette sculptrice de génie ont impressionné Auguste Rodin, qui en fit son élève, son égérie puis sa maîtresse officielle à qui il avait promis le mariage.
Lorsque Rodin rencontre Camille pour la première fois, elle a dix-huit ans et lui… vingt-six de plus !
Au début de leur collaboration, le couple très proche intellectuellement s’entend à merveille, l’émulation étant bénéfique aux deux artistes. Parfois la création de l'un et de l'autre est si proche qu'on ne sait qui du maître ou de l'élève a inspiré l'un ou copié l'autre, les deux créateurs s’influençant mutuellement.
Après dix années de passion amoureuse, faites d’échanges sans complaisance, de travail, de malentendus et de réciproques déceptions, Camille Claudel tire un trait sur leur histoire et entend aussitôt se consacrer exclusivement à sa carrière. En 1898, elle le quitte définitivement pour s'installer dans son propre atelier. Une fois la relation amoureuse rompue, elle souhaite s’émanciper de la pesante tutelle de son maître, s’affranchissant ainsi de son influence artistique.
Dans un souci d’affirmer sa propre identité créatrice, elle privilégie des recherches opposées à celles de son mentor, en expérimentant de nouvelles scènes intimistes. Avec son frère Paul, introduit dans les cercles littéraires, elle côtoie de nombreux adeptes de l'avant-garde parisienne, réalisant jusqu'en 1905 la part la plus innovante de son oeuvre : La Valse, L’Âge mûr.
Ses nouveaux sujets, dont Les Causeuses, s’illustrent parmi ses plus fameuses compositions ; elle capte et restitue de brefs moments de la vie ordinaire. A l’apogée de son art, elle affirme une nouvelle fois son originalité en réalisant dans la veine de l’Art nouveau : La Vague.
Le déclin vers la folie
Cependant, cette femme, déchirée entre le rêve de l'amour partagé et celui de la sculpture, décline vers la folie.
Elle cumule alors les difficultés matérielles et de graves ennuis financiers, alors qu’un délire de persécution latente lui ronge les nerfs. Sa rancune tenace envers Rodin nourrit son inexorable démence, la laissant progressivement dans l’incapacité de se renouveler.
Elle approche la cinquantaine … et de sa mythique beauté, il ne reste plus rien.
Atteinte de psychose paranoïaque, n’étant plus capable de créer de nouvelles oeuvres, elle sera internée une semaine après la mort de son père en 1913, à la demande de sa mère, à Ville-Evrard (Val-de-Marne) puis à Montfavet (Vaucluse).
Lorsque le 10 mars 1913 deux athlétiques infirmiers forcent les portes son atelier, la sculptrice a pris soin de se barricader. Les deux hommes sont obligés de passer par la fenêtre. Une fois à l'intérieur, ils sont pétrifiés en découvrant un incroyable amas d'immondices répandant une odeur répugnante. Ils ont peine à s’imaginer qu'on puisse vivre dans un tel cloaque, plongé dans l'obscurité et l'humidité. Des chats évoluent autour d’une multitude de sculptures brisées.
L’artiste est bien sur place. Elle hurle, telle une bête meurtrie au fond de son antre, isolée du monde, emportée par la folie, comme possédée. À 48 ans, elle en paraît dix de plus !
Elle s'éteint dans la solitude de ses trente années d’oubli, le 19 octobre 1943, à l'âge de 79 ans, dans l’indifférence générale.
Tous ces éléments en ont fait un personnage de roman.
De la personnification de l'artiste maudite à la reconnaissance de son génie, Camille Claudel a fait l'objet, depuis le début des années 1980, d'une réhabilitation passionnée, un peu grâce au succès du roman d’Anne Delbée, Une femme, paru en 1981, ainsi que du film de Bruno Nuyten : Camille Claudel, avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu dans le rôle de Rodin, sorti sur les écrans en décembre 1988.