La plus grande course d'attelages de chevaux de trait d’Europe vient de vivre avec bonheur sa dixième édition. Cet événement exceptionnel dont la plus grande partie s’est déroulée en Picardie a connu un succès populaire extraordinaire avec plus de 300 000 spectateurs massés le long du parcours, et à travers les villes et villages traversés. Les attelages ont pris le départ de la course ce samedi matin de Boulogne-sur-mer et se sont relayés durant 24 heures pour rejoindre Compiègne, où l’arrivée fut jugée devant le palais impérial, après la traversée de la cour des haras nationaux.
Des épreuves étaient organisées dans plusieurs villes : marathon, traction d'un flobart, relais chronométrés, épreuve de maniabilité à la voix....
L’itinéraire comportait vingt étapes d’une longueur de quatorze kilomètres en moyenne à parcourir en un temps déterminé, adapté à la difficulté de l’étape et au poids des chevaux. A l’arrivée de chaque étape se trouvent des relais dans lesquels les chevaux en course sont remplacés par d’autres, plus frais, pour parcourir une nouvelle étape. Le but étant de parcourir les 300 kilomètres de la course… en 24 heures. Onze équipes étaient au départ. Une équipe, c'est vingt chevaux, trois à cinq véhicules hippomobiles, dix meneurs qui conduisent les attelages, dix grooms qui accompagnent les meneurs, un chef d'équipe, un vétérinaire et un maréchal ferrant ; cinq à dix camions, et trente à cinquante personnes pour les conduire, s'occuper des chevaux et de la logistique et veiller au bien-être des participants.
Neuf races de chevaux de trait participent à cette dixième édition : l’Ardennais, l’Auxois, le Boulonnais, le Breton, le cob normand, le mulassier poitevin, le Percheron, le trait comtois et le trait du Nord.
L’objectif principal de cet événement mythique – dont la marraine de cette édition était Sophie Thalmann, ex-miss France – est de contribuer à la mise en valeur des chevaux de trait et de leur patrimoine culturel, de faire connaître au grand public cette richesse, le potentiel économique que représentent les chevaux de trait au troisième millénaire autant pour l’espace rural qu’urbain et le rôle que peut jouer le cheval dans le développement durable. La Route du poisson, c’est aussi une grande fête populaire qui valorise les produits de la mer !
A Boulogne-sur-Mer : la présentation des équipages, l’épreuve de traction du flobart … et le départ.
Sophie Thalmann, marraine de cette dixième édition
Un peu d’histoire…
La Route du poisson est une histoire si ancienne qu’on n’en connait pas l’exacte origine ; néanmoins, nous sommes sûrs qu’elle s’est développée entre le XVIe et le XIXe siècle.
Des ports de Boulogne-sur-Mer, Etaples, Saint-Valéry, Dieppe, des attelages lourdement chargés de poissons frais – cinq chevaux boulonnais pouvant tirer jusqu'à quatre tonnes – s’élançaient au grand trot vers la capitale jusqu’aux halles via le boulevard Poissonnière, et ils y parvenaient pour en garantir la fraîcheur en moins de 24 heures. Ces voitures qui portaient la marée étaient menées par des cochers qui chassaient devant eux un ou plusieurs chevaux, d’où le nom de chasse-marée.
Amener le poisson le plus frais possible à Paris, telle était la mission des chasse-marée, sociétés de transport de pêche qui, dès le Moyen-âge, commerçaient avec les ports picards et du nord de la France pour approvisionner en poisson frais la Cour et le Tout-Paris.
Tous les moyens étaient mis en oeuvre pour tenir l’objectif. Le seul moyen de transport à l’époque capable de relever le défi, c’était… le cheval ! Jusqu’au XIXe siècle, il faut imaginer ces chevaux de trait attelés par cinq à des ballons de marée avalant à grandes enjambées les trois cents kilomètres qui les séparaient de la capitale. Toutes les 7 lieues (moins de 28 kilomètres), les chevaux – généralement des Boulonnais – étaient changés dans des relais de diligences pour tenir le rythme. Une tour de guet placée près des relais permettait, à l’aide d’un cor, d’annoncer l’arrivée des attelages. La cadence était soutenue et le spectacle grandiose pour les habitants des villages traversés qui assistaient avec curiosité à cette chevauchée effrénée.
On envisagea en 1792 un projet de canal entre Dieppe et Paris mais ce projet ne vit jamais le jour. Cependant, il annonçait déjà le début du déclin des chasse-marée. Cette rude et belle histoire d’hommes et de chevaux prit fin en 1848 avec la mise en place de la ligne de chemin de fer Paris - Boulogne-sur-Mer.
Le 20 juillet 1948, on inaugurait en grandes pompes cette première ligne.
Les chevaux ne pouvaient plus lutter ; toute une activité disparaissait : en 1853, il ne fallait plus que quatre heures pour relier Dieppe à Paris !
Du Pas-de-Calais à la baie de Somme
La petite histoire
La défaillance d’un chasse-marée pousse le cuisinier Vatel au suicide
C’est dans une lettre envoyée à sa fille, Madame de Grignan, le 26 avril 1671, que Madame de Sévigné raconte le suicide au château de Chantilly de François Vatel, maître d’hôtel, intendant et pâtissier-traiteur du prince de Condé – c’est Vatel qui, par ailleurs, inventa la délicieuse crème Chantilly. Le célèbre intendant-cuisinier avait été chargé par le prince de Condé d’organiser trois jours de festivités au château en l’honneur du roi Louis XIV lors de son séjour en Flandres. Ce jour là, les chasse-marée arrivèrent très en retard, Vatel s’estima discrédité et mit fin à ses jours. Pour le dîner de ce vendredi 24 avril 1671, jour sans viande, Vatel ne put présenter aux invités des poissons pêchés en rivière : soit parce qu'ils étaient trop communs, soit parce que leur pêche au mois d'avril était trop incertaine (saumon, truite) pour assurer le ravitaillement complet. Le fait qu'il ait envoyé des acheteurs dans plusieurs ports indique qu'il recherchait plusieurs produits de mer. Les suppositions sur la nature des poissons à servir ce jour-là se tournent vers la sole, le turbot, la barbue, peut-être la raie, le carrelet ou la limande, toutes ces espèces étant abondantes en cette saison. Pour une vente du vendredi sur les marchés de la région de Paris, les pêcheurs devaient rentrer au port entre le mercredi après-midi et les premières heures du jeudi. Vatel avait donc, quelques jours avant, envoyé des gens commander des poissons de qualité dans plusieurs ports de Haute-Normandie. Boulogne-sur-Mer étant à plus de deux cents kilomètres de Chantilly, et l'histoire se situant fin avril, en cette saison, seuls une vingtaine de ports, tous situés en Haute-Normandie, pouvaient approvisionner Paris et ses environs dans des délais raisonnables. Outre un acheteur habituel à Dieppe (le plus gros port de pêche de la Manche à l'époque), Vatel avait des fournisseurs dans les ports du côté de la baie de Somme, notamment celui d'Ault dont la marée provenait des meilleurs fonds et avait une excellente réputation ; d'ailleurs, Ault, à l'époque, rivalisait avec Dieppe et Boulogne pour la qualité de sa pêche. Au petit matin du vendredi 24 avril, Vatel attendait sa commande de poissons à 4 heures du matin. Mais à cette heure, seulement deux paniers arrivèrent. Il attendit jusqu'à 8 heures – toujours rien de plus. Pour Vatel, ce fut le comble du déshonneur. Il déclara à Gourville : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci, j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre. » Gourville se moqua de lui. Il monta alors dans sa chambre et se jeta à trois reprises sur son épée calée dans la porte pour sauver son honneur… au moment où son importante commande de poisson arrivait. Il avait 40 ans.
Les relais
Le Boulonnais, le pur-sang des chevaux de trait
Le Boulonnais est un cheval de gros trait aux allures actives et brillantes. Il est élégant et racé, ce qui le désigne comme le pur-sang des chevaux de trait. On l’appelle également le colosse en marbre blanc.
Cette distinction, il la doit au sang oriental qui est venu à plusieurs époques retremper cette race très ancienne déjà connue sous Henri IV pour son aptitude à la vitesse, comme en témoigne la création ancestrale des courses de boulonnais à Saint-Omer.
L'histoire de la race boulonnaise est longue et teintée de légendes. Il existait historiquement deux types de ce cheval, l'un employé pour l'agriculture et la traction lourde, le second à la traction rapide au trot. Le Boulonnais fait partie des quatre plus anciennes races de trait d'Europe de l'Ouest, qui toutes revendiquent un héritage oriental et ont une grande influence pour la formation des chevaux de trait du XIXe au XXe siècle. Le Percheron, l'Ardennais et le trait belge sont les trois autres.
Délaissée à l’arrivée de la motorisation de l’agriculture, c’est grâce à la pugnacité et la passion des éleveurs qu’il a été permis de sauvegarder cette race remarquable et empêcher sa disparition du patrimoine animal de la région Nord - Pas-de-Calais.
Le Boulonnais est grand et puissant, façonné au XIXe siècle pour le dur travail des terres à betteraves et la traction de lourds chariots.
Il existe des Boulonnais plus petits, dits mareyeurs : ce sont eux qui furent employés jusqu’au milieu du XIXe siècle pour le transport rapide du poisson des ports de la Manche vers Paris.
Témoin de ce mariage entre le cheval et la mer, la marque au fer rouge, toujours appliquée aujourd’hui sur l’encolure gauche et qui représente une ancre marine.
Le retour raisonné du cheval en général – et des Boulonnais en particulier – dans la vie économique démontre la rentabilité de l’animal : à Hazebrouck, dans les Flandres françaises, des déchets sont collectés de façon pérenne et rentable, et la valorisation du tri par les habitants a été augmentée de plus de 20 % avec le passage du matériel moderne tracté par un cheval.
Redonner au cheval de trait ses lettres de noblesse
Plus qu’un événement sportif de grande envergure, la Route du poisson organisée par l’association AP3C veut redonner ses lettres de noblesse au cheval de trait, et ainsi de nouvelles perspectives à son élevage qui trouvait, il y a encore quelques années, la viande comme unique débouché.
En vingt ans, la Route du poisson a révélé au grand jour toutes les capacités du cheval de trait et a donné un nouvel élan dans la politique d’orientation de la sélection des races. L’aptitude postière de ces chevaux, c’est-à-dire la faculté de tirer des charges au trot, est redevenue un objectif de sélection.
La Route du poisson se veut être la vitrine des valeurs portées par ce cheval robuste et travailleur. L’aide à l’insertion (symbolisée par l’équipe des Hardis mareyeurs de la fédération handi-cheval), la préservation de l’environnement (le cheval de trait est de plus en plus utilisé pour l’entretien d’espaces naturels), la revitalisation rurale (de nombreux événements mettent aujourd’hui à l’honneur le cheval de trait) sont des qualités reconnues aujourd’hui au cheval de trait. Ces qualités sont mises en exergue tout au long du parcours par les équipes participantes.
La Route du poisson montre aujourd’hui que le cheval de trait n’est pas synonyme de passé ou de nostalgie.
De nouvelles utilisations lui redonnent tout son sens, en ville comme lors de spectacles.
Résultats du classement général :
1er Traits de la Famenne, 2. Traits Union, 3. Boulonnais, 4. Les Franches Montagnes, 5. Les Bretons, 6. Les Ardennais Belges, 7. Bienvenue à la Ferme, 8. Les Traits de Bourgogne, 9. Les Percherons/Cob normand, 10. Grande-Bretagne, 11. Hardis Mareyeurs (équipe composée de personnes handicapées et de meneurs qualifiés)
Résultats spéciales :
Flobart: Bienvenue à la Ferme, Maniabilité Traction: Boulonnais Maniabilité à la voix: Les Traits d’union (équipe belge) Maniabilité à 4 chevaux: Ardennais Belges.