C’est un cri rauque et d’une incroyable puissance qui vient de déchirer au crépuscule le silence de la forêt. Mais est-ce un cri ou plutôt un rugissement de désir ?
Nous sommes début octobre, la saison du brame du cerf, roi incontestable de la forêt, est entamée.
Dans la clairière toute proche, un superbe cerf dix cors à l’impressionnante musculature renverse sa robuste encolure et ses bois vers l’arrière en poussant son indicible hurlement, gueule grande ouverte vers le ciel en labourant le sol avec ses sabots, puis il racle la terre de sa ramure en arrachant d’énormes touffes d’herbe.
Il est ici le maître des lieux et le montre bien.
Il vient de lancer un nouvel avertissement, comme s’il s’agissait d’un ultimatum adressé à d’éventuels rivaux. Une harde de six femelles semble lui appartenir et il garde son harem tel un chien de troupeau veillant sur ses brebis. Toutefois avant d’en arriver là, ce fut pour lui une lutte de tous les instants durant laquelle il fut soumis à une tension intense afin d’imposer sa domination aux autres prétendants car l’enjeu est de taille : le mâle qui s’approprie la harde a l’exclusivité de la fécondation des femelles.
Il pourra alors revendiquer la paternité des faons qui naîtront l’année suivante.
Le spectacle du brame est avant tout sonore. Les actes les plus emblématiques et spectaculaires se déroulent du crépuscule à l’aube et très souvent loin du regard des humains.
Ces images ont été prises le jour, au petit matin et tard dans la soirée, entre le 25 septembre et 2 octobre.
Être le maître en place de brame
Ici, en Bourgogne, la saison du brame débute théoriquement vers la mi-septembre pour s’achever peu avant le 15 octobre. Néanmoins cette année, peut-être à cause d’une météo pratiquement estivale avec des températures nocturnes élevées, la saison n’a débuté que très timidement.
Une extrême douceur ayant des effets néfastes sur le rut, selon les spécialistes locaux.
L’objectif est d’assurer la reproduction de l’espèce. C'est l'époque des saillies et pour le cerf, qui peut régner en maitre absolu sur un harem de trente à quarante biches, il lui faut tout d’abord délimiter son territoire, montrer sa puissance aux autres mâles et constamment surveiller ses femelles ; une activité à temps plein qui lui fait perdre jusqu'à vingt kilos car il n’a même plus le temps de se nourrir ! Pour le mâle, le but est de s’accoupler avec un maximum de femelles. Il faut savoir qu’une biche n’est en chaleur que douze à vingt-quatre heures tout au plus !
Pour la biche, le brame identifie la qualité de reproducteur et lui permet de choisir le plus beau mâle de la contrée pour s’accoupler car c’est elle, en fait, qui décide de la saillie.
Le cerf dominant règne sur une prairie ou une partie de terrain appelée place de brame. Il ne cessera alors d'être en activité en se rendant d'une biche à une autre, avec le regard attentif à l'extérieur pour surveiller les lieux. Pour marquer son territoire, il se roulera dans des cuvettes boueuses – souilles – avant de se frotter aux arbres pour déposer sur les écorces les sécrétions de ses larmiers, abondantes en cette période, et qui ressemblent à une huile noirâtre, fortement odorante.
Les autres cerfs se verront alors chassés de cette zone réservée. Leur désir de conquérir néanmoins des biches les inciteront soit à affronter le cerf en place de brame, provoquant alors des combats aussi spectaculaires que majestueux à l’issue parfois dramatique pour l’un des belligérants, voire pour les deux, soit à partir à l'assaut d'un autre harem dirigé par un congénère espéré moins fougueux.
Il marque son territoire
Pour marquer son territoire, le cerf se roule dans des cuvettes boueuses – souilles – avant de se frotter aux arbres pour déposer sur les écorces les sécrétions de ses larmiers, abondantes et fortement odorantes en cette période.
Eviter le combat
Cependant, la puissance du brame et un coup d'oeil sur la ramure suffisent généralement au mâle à affirmer sa primauté ou constater son infériorité ; c’est seulement s'ils s’estiment être de force égale, qu’ils peuvent en venir à se battre. Avant d’en arriver à cette extrémité, les vieux cerfs expérimentés utilisent l’intimidation, cris et simulacres de charge. Si l’adversaire ne cède pas, alors le combat ne peut être évité. Au cours cet affrontement physique, les bois peuvent se casser et provoquer de graves blessures ; parfois, ils restent emmêlés et les deux adversaires errent alors de longs jours ainsi, puis meurent de faim et d’épuisement. Quant aux jeunes mâles ne se sentant pas encore de taille à relever un quelconque défi, ils restent bien à l’écart de ces joutes de titans. A la fin du rut, ils ont cependant toutes leurs chances de se constituer une harde, les vainqueurs étant épuisés et dans l’impossibilité de surveiller toutes leurs biches.
Vers la fin des amours, chacun va peu à peu se séparer et reprendre sa place jusqu'au l’automne prochain. Les biches donneront naissance à un faon huit mois plus tard – les naissances s'étalent de la fin avril à début juillet, avec un pic très net entre le 15 mai et le 15 juin – elles l’allaiteront durant sept mois. Les mises bas se font le plus discrètes possible : les biches choisissent des zones de fourrés très denses et calmes. Seulement une heure après sa naissance, le faon est capable de se déplacer, mais pendant une à deux semaines, il reste couché, réduisant au maximum les preuves de sa présence vis à vis des ses prédateurs. La mère veille sur lui avec beaucoup d’attention, ne s’éloignant que très peu, et si un problème survient, elle le défendra avec toute son énergie… à grands coups de sabots !
CERFS-ATTITUDES
LE CERF DE NOËL
Je ne résiste pas au plaisir de partager ce très beau poème écrit par Anatole France en 1871
LES CERFS
Aux vapeurs du matin, sous les fauves ramures
Que le vent automnal emplit de longs murmures,
Les rivaux, les deux cerfs luttent dans les halliers :
Depuis l'heure du soir où leur fureur errante
Les entraîna tous deux vers la biche odorante,
Ils se frappent l'un l'autre à grands coups d'andouillers.
Suants, fumants, en feu, quant vint l'aube incertaine,
Tous deux sont allés boire ensemble à la fontaine,
Puis d'un choc plus terrible ils ont mêlé leurs bois.
Leurs bonds dans les taillis font le bruit de la grêle
Ils halètent, ils sont fourbus, leur jarret grêle
Flageole du frisson de leurs prochains abois.
Et cependant, tranquille et sa robe lustrée,
La biche au ventre clair, la bête désirée
Attend; ses jeunes dents mordent les arbrisseaux;
Elle écoute passer les souffles et les râles;
Et, tiède dans le vent, la fauve odeur des mâles
D'un prompt frémissement effleure ses naseaux.
Enfin l'un des deux cerfs, celui que la Nature
Arma trop faiblement pour la lutte future,
S'abat, le ventre ouvert, écumant et sanglant.
L'oeil terne, il a léché sa mâchoire brisée;
Et la mort vient déjà, dans l'aube et la rosée.
Apaiser par degrés son poitrail pantelant.
Douce aux destins nouveaux, son âme végétale
Se disperse aisément dans la forêt natale ;
L'universelle vie accueille ses esprits :
Il redonne à la terre, aux vents aromatiques.
Aux chênes, aux sapins, ses nourriciers antiques.
Aux fontaines, aux fleurs, tout ce qu'il leur a pris.
Telle est la guerre au sein des forêts maternelles.
Qu’elle ne trouble point nos sereines prunelles :
Ce cerf vécut et meurt selon de bonnes lois,
Car son âme confuse et vaguement ravie
A dans les jours de paix goûté la douce vie;
Son âme s'est complu, muette, au sein des bois.
Au sein des bois sacrés, le temps coule limpide,
La peur est ignorée et la mort est rapide ;
Aucun être n'existe ou ne périt en vain.
Et le vainqueur sanglant qui brame à la lumière.
Et que suit désormais la biche douce et fière,
A les reins et le coeur bons pour l'oeuvre divin.
L’Amour, l’Amour puissant, la Volupté féconde.
Voilà le dieu qui crée incessamment le monde.
Le père de la vie et des destins futurs !
C’est par l’Amour fatal, par ses luttes cruelles.
Que l’univers s'anime en des formes plus belles.
S’achève et se connaît en des esprits plus purs.
A L'AUBE
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La promenade solitaire du marcassin