Il est encore tôt en ce matin d’octobre. Après avoir traversé le paisible et encore endormi village de Rougon, blotti contre son impressionnant piton rocheux, je m’engage sur un sentier caillouteux qui serpente vers les crêtes, juste après la dernière demeure du bourg aux allures médiévales et à l’authentique charme provençal.
La lumière un peu crue du soleil levant a malheureusement déjà remplacé les premières belles lueurs rougeâtres de l’aube, lorsque j’arrive enfin sur le plateau qui surplombe les gorges. La végétation est ici encore très méditerranéenne, bien que les premières influences alpines se fassent sentir. Le spectacle est à couper le souffle et mieux vaut ne pas avoir le vertige.
Sur un rocher face au village, une trentaine de vautours fauves scrutent l’horizon. La scène est presque surréaliste ! Ils attendent ainsi que le réchauffement de l’atmosphère crée des ascendances thermiques afin qu’ils puissent s’élever dans les airs sans effort. Plus tard dans la matinée, ils partiront alors à la recherche de nourriture par petits groupes.
Ces grands voiliers du ciel, se laisseront planer la plus grande partie de la journée et surtout en début de soirée en esquissant de grands cercles au-dessus des gorges. Parfois ils disparaissent de longs moments, puis ils reviennent. Le moment est à la rêverie, à l’apaisement.
Leur vol silencieux sera seulement troublé par le sifflement de l’air qui glisse dans leurs ailes…
Le retour du géant des airs
Ce magnifique géant des airs qu’est le vautour, dont l’envergure peut atteindre 2,65m et peser jusqu’à 7 à 8 kg, avait disparu des gorges du Verdon et des Alpes. Les causes de cette disparition au cours du début du XXe siècle sont multiples, en premiers lieux le déclin des coutumes pastorales, l’empoisonnement des cadavres d'animaux à la strychnine afin de se débarrasser des grands carnivores comme le loup et l’ours dont ce rapace se nourrit. Il fut aussi la cible de tirs intempestifs, ou victime de préjugés liés à sa mauvaise réputation. Grâce au lancement d'un programme de réintroduction ayant conduit aux premiers lâchers en 1999, il a fait son retour au sein de l’écosystème montagnard encore bien préservé. Le vautour fauve est la plus commune des trois espèces observables en France, avec le vautour moine et le vautour percnoptère.
A Rougon - Alpes de Haute-Provence - où ces images ont été prises, il est possible d’apercevoir dans le ciel ou sur les falaises des gorges des vautours fauves introduits dans le Verdon durant la période 1999-2004. Cette colonie se reproduit naturellement depuis 2002, et 222 juvéniles se sont envolés des falaises du grand canyon. En 2013, elle compte 300 individus, une centaine de couples et son domaine vital s'étend sur 600 000 hectares.
On observe également avec bonheur des vautours moines réimplantés à partir de 2005 dont la première nidification a eu lieu cette année. Un poussin est né en avril, ce qui représente un événement historique pour la région, la dernière reproduction avérée datant de 157 ans ! Des vautours percnoptères nichent sur le site depuis 2007. Après la première reproduction réussie en 2011, le couple a de nouveau niché cette année.
Un équarrisseur naturel
Le maintien sur le site de cette importante population de vautours fauves repose sur un partenariat gagnant-gagnant établi depuis entre les éleveurs de la région et ces magnifiques rapaces si longtemps persécutés par les hommes, bien souvent par ignorance ou croyances ancestrales.
En effet, lorsqu'un animal meurt dans un élevage, l'éleveur est évidemment tenu de faire appel à un service d'équarrissage qui emporte et traite les carcasses. Ce service permet notamment d'éviter que les cadavres ne séjournent dans les pâturages, favorisant de ce fait la propagation de maladies. Les éleveurs sont bien entendu redevables d'une taxe d'équarrissage.
Dans le Verdon, ce sont les vautours, véritables éboueurs des alpages, qui assurent ce service. En effet, les bénévoles de la ligue pour la protection des oiseaux récupèrent de façon régulière les carcasses dans les exploitations et alimentent un charnier sur lequel les vautours se nourrissent. Depuis 1999, ce système a permis d’éliminer naturellement plus de 250 tonnes de cadavres d’ovins et de caprins.
Il faut reconnaître à ce rapace nécrophage écologiste un rôle crucial en tant qu'éboueur de la nature, doté de facultés digestives lui permettant d'éliminer les bactéries et les virus, préservant ainsi les nappes phréatiques des sources de pollution diverses, particulièrement dans les massifs calcaires et perméables. Le vautour fauve ne se contente pas de s’alimenter sur l’aire de nourrissage ou sur les placettes mises en service depuis peu par des éleveurs (il peut aussi très bien jeûner quelques jours) ; il parcourt en effet des distances importantes à la recherche de cadavres d’animaux sauvages en parcourant plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres par jour, en utilisant les courants ascendants afin de s’économiser. Mais les déplacements journaliers de la colonie se situent dans un rayon de trente kilomètres autour de Rougon. Dans le Verdon, la faune est très riche.
Cela suppose donc une nourriture potentielle importante pour les vautours. On trouve de belles populations de gibiers sauvages comme le chevreuil, le cerf, de plus en plus nombreux, en provenance des Alpes-Maritimes toutes proches, le sanglier, ainsi que le chamois. Toutefois, un soir de l'été 2012, 163 oiseaux ont été dénombrés sur une falaise du massif du Mounier, près de Beuil, dans le Mercantour. La plupart de ces visiteurs arrivaient du Verdon, distant d'environ 60 km, quelques autres venaient de la Drôme, des Cévennes et... d'Espagne. Cela n'aurait rien d’extraordinaire : dernièrement, des vautours bagués en Espagne ont été observés dans le département... des Ardennes !
LE VAUTOUR FAUVE
Le vautour fauve se distingue par son long cou recouvert d’un fin duvet, sa collerette blanche, et son plumage fauve. Son bec recourbé et ses serres nous disent que c’est un rapace.
C’est l’un des plus grands rapaces d’Europe. Malgré sa taille, il est incapable de capturer une proie vivante. Il peut planer des heures entières sans s'arrêter ; par contre, à cause de son poids, il est incapable de pratiquer un vol battu sur de longues distances.
Il se laisse planer par les masses d’air en mouvement pour s’élever en spirale et sans effort à plusieurs centaines de mètres au-dessus du relief, parcourant ainsi de grandes distances. Il profite ainsi des ascendances thermiques produites par le réchauffement solaire du sol et des falaises. Il profite également des courants des pentes, c'est-à-dire les courants qui se forment lorsque le vent bute contre les falaises. C'est pour cette raison que le vautour attend les heures les plus chaudes de la journée pour s'élancer, à moins que le vent ne lui permette de voler plus tôt. Dans ce cas, il peut s'envoler dès l'aube.
Ces oiseaux nichent uniquement en falaise. Ce sont des rapaces rupestres qui utilisent aussi cet habitat pour le repos diurne et nocturne. Grégaires, ils vivent en groupe au sein d'une colonie.
Ce mode de vie leur facilite la recherche de nourriture lors des déplacements. Leur vue est très perçante : des études ont prouvé qu’ils peuvent apercevoir un objet de trente centimètres, à plus de trois kilomètres de distance ! Lorsque l’un d’eux repère une carcasse, il s’en approche, indiquant par là-même aux autres vautours la présence de nourriture. Ainsi, en quelques minutes, la colonie complète est prête à commencer la curée. Après leur passage, seuls resteront les os et la peau.
Les couples sont souvent unis pour la vie. Les vols nuptiaux sont effectués à proximité des sites de reproduction et des dortoirs. Ce rapace se reproduit pour la première fois à l’âge de quatre ou cinq ans. Le couple vole le long des parois rocheuses, l’un des partenaires légèrement au-dessus de l’autre. Les accouplements ont lieu sur le nid ou à proximité de celui-ci, dès le mois de décembre. Il niche très tôt : l’unique oeuf est pondu entre la fin décembre et la mi-mars. Le nid est construit d’un amas sommaire de branches, deux à trois semaines avant la ponte. Les deux adultes participent à la construction de celui-ci, à l’incubation et à l’élevage du jeune. L’incubation dure environ 54 jours. Le poussin, qui pèse 170 à 210 g à sa naissance est nourri par régurgitation. Le séjour du jeune au nid est d'environ 120 jours. Après l’envol, il reste encore plusieurs semaines avec ses parents dont il est dépendant pour l’alimentation.
… Des lumières et des couleurs automnales … dignes d’un été indien.
Vue et image panoramique des gorges prise du Point Sublime.
Ce point de vue se trouve sur la rive droite, en dessous du village de Rougon.
Pour suivre l'actualité sur les vautours, consultez le site de la L.P.O. VERDON en cliquant ICI