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Si le carnaval de Dunkerque dure cette année près de deux mois – du 6 février, avec la sortie de la bande de Fort-Mardyck, au 26 mars avec le bal du printemps – le temps fort , c'est bien sûr la semaine de Mardi-Gras , celle des Trois-Joyeuses , qui fait sortir les masquelours* de Dunkerque à Malo.
Cerise sur le gâteau - pardon le chapeau ! - la sortie de la bande de Dunkerque qui , hier dimanche, a rassemblé des dizaines de milliers de carnavaleux et attiré aussi pas mal de touristes et curieux.
Alors que les tambours battent le rappel, l'énorme pagaille s'organise.
Les masquelours, vêtus de leur plus beau Clet’che ou Klet’che** , méconnaissables sous leurs maquillages bariolés, se tiennent bras dessus-bras dessous pour former des lignes.
Les places du premier rang sont très ambitionnées car c'est là que l'engagement physique est le plus complet ; c'est aux premiers rangs qu'appartient la mission de protéger les musiciens de la foule.
Au signal du tambour-major, fifres et tambours entament le rigodon*** d'honneur qui ordonnait le rassemblement aux soldats de l'Empire.
La foule compacte saute en cadence , on pousse déjà pour mettre les premières lignes à l'épreuve. Le tambour-major, à la tête d'une soixantaine de musiciens vêtus du ciré et du suroît jaune des pêcheurs, somme que cesse le rigodon afin que les fifres reprennent des airs traditionnels de marche connus de tous.
Le cortège s'ébranle enfin .
Cô Boont’che - Pascal Bonne dans le civil - a conduit la bande avec succès pour sa première prestation , de la place Vauban au rigodon final .
Déformée par les poussées brusques , la cohue des masques avance en chantant , en hurlant plutôt dans les premiers rangs ! Durant quatre heures, la visscherbende – bande des pêcheurs – déferle sur la ville comme une vague de fond au rythme des chahuts , des arrêts obligés des musiciens.
Cette année, elle a changé de tête, avec un nouveau et jeune tambour-major : Cô Boont'che.
Pas de chambardement pour autant : Cô Boont'che a suivi le parcours de ses aînés dans la ville, avec la halte tant espérée et obligée sous les balcons de l'Hôtel de ville vers 17 heures, pour le jet de harengs. Moment toujours impressionnant, comme si une improbable houle métamorphose la bande en une succession de vagues bigarrées.
Le nouveau tambour-major a conduit aussi l’apothéose des réjouissances , le rigodon qui termine la bande au pied de la statue de Jean Bart.
Les feux de la première des « Trois-Joyeuses » sont à peine éteints que s'allument ceux de la bande de la Citadelle, ce lundi.
Événement plus confidentiel , en plein quartier portuaire, où exsude encore l'histoire des pêcheurs d’Islande, eux qui se lâchaient une dernière fois dans la chaleur du carnaval avant de partir pour d’interminables et froides campagnes de pêche.
Dernière de ces trois folles journées : la bande de Rosendaël, pour Mardi-Gras.
Enfin, pas la dernière pour les parents de petits masquelours, qui préparent la relève au bal enfantin le mercredi.
On tire le rideau sur cette folle semaine carnavalesque le dimanche 13 mars, avec la bande de Malo, qui offre un beau spectacle, celui des carnavaleux avec la mer pour décor .
* carnavaleux qui fait la bande
** costume qui, à l’origine, était constitué de tissus de récupération. Actuellement, il est plus sophistiqué et plus coloré. Les hommes se déguisent en femme avec chapeau à fleurs, décolleté,manteau en fourrure, mini-jupe et porte-jarretelles. Les femmes, quant à elles, se déguisent volontiers en hommes. Chaque masquelour est fier de son costume et le conserve le plus longtemps possible.
*** Moment intense à la fin de la bande. Sur la place principale se déroule un chahut ininterrompu d'une heure autour du kiosque. La compression et la chaleur sont telles que de la vapeur se dégage de la mêlée. Le rigodon se termine par l’émouvante « Cantate à Jean Bart ».
Un peu d’histoire...
A Dunkerque, au début du XVIIe siècle, les pêcheurs partent pour l'Islande .
Ces expéditions durent six mois et sont périlleuses : de nombreux marins n'en reviennent jamais, laissant veuves et orphelins.
Face à ce péril , les armateurs paient aux pêcheurs une partie de leur solde avant le départ ; une assurance pour les familles. Les marins profitent aussi d'une fête, que l'armateur finance en partie.
Une année, le départ pour l'Islande et les réjouissances qui l'accompagnent coïncident avec les jours gras, qui précèdent le Carême.
Dès lors, les marins se masquent, se déguisent. La visschersbende, au sens carnavalesque du terme, est née.
Au XVIIIe siècle, cette bande des pêcheurs s'ouvre aux familles des marins, puis au reste de la société.
Au début du XIXe siècle apparaissent, en marge du défilé, les bals nocturnes.
Des associations philanthropiques les organisent afin de récolter des fonds pour les veuves et les orphelins des pêcheurs (de nos jours, chaque année, 700 000 euros sont reversés aux oeuvres sociales par les associations organisatrices des dix bals du carnaval dunkerquois).
La période de fête s'allonge, pour dépasser la seule période des jours gras.
Mais l'activité de pêche à la morue décline à la fin du XIXe et avec elle, la bande des pêcheurs ; seuls les bals gardent leur succès.
C'est en 1906, sous l'impulsion de la mairie et d'associations, que la dynamique du carnaval est relancée. Annulée ensuite pendant les deux guerres, la bande renaît à chaque fois.
En 1946, le défilé zigzague entre les ruines d'une ville détruite par les bombardements.
Même en 1991, interdit pour cause de guerre du Golfe, le carnaval survit encore : une bande annulée s'improvise à Saint-Pol et à Dunkerque.
Pour lire l'article sur l'édition 2014 du carnaval de Dunkerque , cliquez ICI