Je suis donc retourné la semaine dernière à Richmond Park* dans la banlieue sud de Londres, afin d’immortaliser le brame du cerf… n’en déplaise à certains puristes ou inconditionnels du milieu sauvage ! Bien entendu les images produites à Richmond ont certainement moins de valeur que celles réalisées chez nous – ou ailleurs – en milieu ouvert.
L’an dernier, j’avais été invité par une bande de potes (Dan, Seb, Jérôme, Marcellin et d’autres) à les accompagner durant le week-end en cet endroit majestueux, avec des paysages très variés – rien à voir avec un zoo – que mes compères connaissaient depuis quelques années.
Il y a quelques automnes, j’avais ragé lorsque j’avais vu les images qu’ils avaient rapportées d’outre-Manche, alors que moi, j’avais crapahuté comme un beau diable en forêt ouverte, mais également en milieu semi-ouvert, pour une mince production d’images, quoique de qualité… J’avais pourtant eu beaucoup de chance cette année là, ce qui ne fut pas le cas en 2013 : je n’avais pas entendu bramer une seule fois en cinq jours !
À Richmond, les cerfs sont beaux, certes un peu plus petits, mais très actifs. Ils ne sont pas nourris par l’homme et même si, depuis des décennies, ils se sont habitués à la présence humaine, ils gardent leur instinct sauvage. Il faut en tenir compte en période de brame…
Je l’avoue d’emblée : je suis légèrement déçu cette année car, pour une raison que j’ignore, la saison du brame a commencé beaucoup plus tôt cette année en Angleterre, alors que d’habitude, elle débute lorsque le brame s’achève en France. Je suis arrivé vers le 10 octobre, nous étions presque en fin de brame, alors qu’habituellement nous serions au coeur de la saison du rut.
Il faut malheureusement se rendre à l’évidence : il est de moins en moins aisé ces dernières années d’observer les grands mammifères de nos belles forêts à cause d’une pression cynégétique trop forte – sans parler des observateurs peu scrupuleux, ou tout simplement inexpérimentés. Cela se ressent surtout durant la période du brame où il est de plus en plus rare de voir de grands cerfs, et c’est bien dommage car c’est en cette période de l’année qu’opère la magie de ce moment fort de la vie du roi incontesté de la forêt.
* Richmond Park est le plus grand parc royal de Londres, l’un des plus anciens puisqu’il a été fondé en 1627. C’est surtout le plus sauvage. Il s’étend sur 10 km2 dans la banlieue proche au sud-ouest de la capitale, et est entièrement clos. Ce sont 10 000 hectares de forêts, de prairies, de collines et de plaines qui s’offrent au visiteur, un espace naturel immense à deux pas des zones urbaines où plus de 300 cerfs vivent en liberté, ainsi que des biches et des faons. Au total, pas moins de 600 espèces d’animaux. Outre les cervidés, vous pouvez croiser régulièrement des daims, de petits écureuils gris, plus rarement des renards, des blaireaux, et des oiseaux : des choucas des tours en grand nombre, ainsi qu’une colonie de petites perruches vertes, omniprésentes et très bavardes, mais pas seulement. Ce parc naturel protégé n’a absolument rien à voir avec un zoo.
De tous temps ce majestueux mammifère qu’est le cerf a inspiré les artistes : peintres, écrivains, poètes, et maintenant, bien entendu, les photographes – surtout depuis l’avènement du numérique – a fortiori en période de brame. Pour illustrer ce propos, je vous propose la lecture d’un très beau poème d’Anatole France, écrit en 1871.
Le sujet : le combat de deux cerfs en rut luttant pour la domination. Des deux mâles, seul le plus fort aura le droit de féconder la biche, et donc le faon n’en sera que plus robuste. La lutte pour la vie est ici décrite dans toute sa cruelle splendeur :
LES CERFS
Aux vapeurs du matin, sous les fauves ramures
Que le vent automnal emplit de longs murmures,
Les rivaux, les deux cerfs luttent dans les halliers :
Depuis l’heure du soir où leur fureur errante
Les entraîna tous deux vers la biche odorante,
Ils se frappent l’un l’autre à grands coups d’andouillers.
Suants, fumants, en feu, quant vint l’aube incertaine,
Tous deux sont allés boire ensemble à la fontaine,
Puis d’un choc plus terrible ils ont mêlé leurs bois.
Leurs bonds dans les taillis font le bruit de la grêle ;
Ils halètent, ils sont fourbus, leur jarret grêle
Flageole du frisson de leurs prochains abois.
Et cependant, tranquille et sa robe lustrée,
La biche au ventre clair, la bête désirée
Attend ; ses jeunes dents mordent les arbrisseaux ;
Elle écoute passer les souffles et les râles ;
Et, tiède dans le vent, la fauve odeur des mâles
D’un prompt frémissement effleure ses naseaux.
Enfin l’un des deux cerfs, celui que la Nature
Arma trop faiblement pour la lutte future,
S’abat, le ventre ouvert, écumant et sanglant.
L’oeil terne, il a léché sa mâchoire brisée ;
Et la mort vient déjà, dans l’aube et la rosée,
Apaiser par degrés son poitrail pantelant.
Douce aux destins nouveaux, son âme végétale
Se disperse aisément dans la forêt natale ;
L’universelle vie accueille ses esprits :
Il redonne à la terre, aux vents aromatiques,
Aux chênes, aux sapins, ses nourriciers antiques,
Aux fontaines, aux fleurs, tout ce qu’il leur a pris.
Telle est la guerre au sein des forêts maternelles.
Qu’elle ne trouble point nos sereines prunelles :
Ce cerf vécut et meurt selon de bonnes lois,
Car son âme confuse et vaguement ravie
A dans les jours de paix goûté la douce vie ;
Son âme s’est complu, muette, au sein des bois.
Au sein des bois sacrés, le temps coule limpide,
La peur est ignorée et la mort est rapide ;
Aucun être n’existe ou ne périt en vain.
Et le vainqueur sanglant qui brame à la lumière,
Et que suit désormais la biche douce et fière,
A les reins et le coeur bons pour l’oeuvre divin.
L’Amour, l’Amour puissant, la Volupté féconde,
Voilà le dieu qui crée incessamment le monde,
Le père de la vie et des destins futurs !
C’est par l’Amour fatal, par ses luttes cruelles,
Que l’univers s’anime en des formes plus belles,
S’achève et se connaît en des esprits plus purs.
ZOOM
«… Moi, le brame ne me perturbe pas, je ne m’intéresse qu’aux châtaignes de Richmond, Miam »
Écureuil gris
Pour voir les images du brame "édition" 2015 , cliquez sur le lien suivant :
LE BRAME DU CERF AU RICHMOND PARK (LONDRES) - Le blog de nature-ailes.over-blog.com
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